Interrogé par MAFCOM sur la place de l’architecte sur le chantier, Jean-Claude Martinez, architecte (Atelier 115) et président de la MAF, estime que la pratique du chantier est indissociable de la conception. Dans un monde désormais financiarisé et judiciarisé, l’architecte doit reconquérir sa place sur le chantier.
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MAFCOM : Quelle est la place de l’architecte sur le chantier aujourd’hui ?

Jean-Claude Martinez : L’architecte est naturellement appelé à diriger les travaux des projets qu’il conçoit. Parce qu’il ne peut consolider ses connaissances techniques sans les confronter au terrain ; sans mettre ses projets à l’épreuve des savoir-faire des entreprises ; sans observer et conduire la main du compagnon lorsque c’est nécessaire.

Mais ce chantier d’enrichissement mutuel des connaissances, longtemps cité en exemple comme la meilleure formation continue, est ignoré des maîtres d’ouvrage. Ces derniers écartent le concepteur pour lui substituer un maître d’œuvre d’exécution au moment de passer à l’action sur le chantier. Leurs motivations sont multiples : confier l’exécution à plus costaud, à moins exigeant, à moins disant parfois... quand ils ne font pas que répondre tout simplement à la demande de l’architecte qui refuse de diriger le chantier.

 

Les maîtres d’ouvrage sont responsables de l’absence d’architectes sur les chantiers ?

Sans doute, mais comprenons-les bien : la rentabilité court-termiste des programmes menés par les investisseurs les rend de moins en moins tolérants aux délais supplémentaires, aux surcoûts, aux aléas, dans un processus de fabrication des bâtiments pourtant très peu industrialisés. Pour eux, le souci du détail recherché par l’architecte n’apparaît pas comme prioritaire. La garantie d’un ouvrage livré à temps, à coût et délais garantis, les obsèdent. Ces maîtres d’ouvrage ont besoin de « machines de guerre » pour surmonter l’épreuve du chantier dont le fouillis les laisse aussi perplexes que désemparés.

 

Les architectes ne peuvent répondre à cette attente de leur client ?

L’architecte veut répondre à cette attente. Mais que reste-t-il de sa capacité à diriger les entreprises après 40 ans de saucissonnage des missions de maîtrise d’œuvre… et les 10 dernières années de vaches maigres ? Où sont passées ses équipes « chantiers » ?

Les exigences des maîtres d’ouvrage sont également celles d’une règlementation qui ne cesse de progresser. A l’aube d’une relance de l’activité, l’offre de service est sans doute à revoir. La réponse ne peut être que très professionnelle pour être efficace.

 

Que signifie « très professionnelle » ?

A titre d’exemple, si la demande de performance énergétique est encore modeste dans la loi de Transition énergétique publiée en 2016, elle préfigure sans doute les exigences règlementaires futures en s’invitant dans la responsabilité décennale. On le voit bien, une autre partie commence, celle de l’obligation de résultat. La réponse de cette efficacité passe, pour la maîtrise d’œuvre et l’architecte en particulier, par la reconquête chantier.

 

Comment peut réagir la profession ?

La profession et ses principales composantes, l’Ordre, les syndicats, la MAF, doivent travailler davantage ensemble sur ces questions… Nous devons réexpliquer ce qu’est la maîtrise d’œuvre aux maîtres d’ouvrage publics et privés, et aux entreprises. Comment elle évolue en fonction de leurs attentes et ce que nous pouvons apporter de nouveau.

 

Pouvez-vous donner un exemple de mesure à adopter ?

La maîtrise d’ouvrage a multiplié ces dernières années les spécialistes autour de l’architecte mandataire sans leur accorder les moyens suffisants. Je souhaite que la profession établisse un tableau de répartition des tâches-types pour clarifier le rôle de chacun et faciliter les relations au sein de la maîtrise d’œuvre, en précisant à quel moment chacun doit intervenir. Cet effort de clarté crédibilisera le travail des architectes et des bureaux d’études aux yeux d’une maîtrise d’ouvrage qui se désintéresse plus ou moins volontairement de la juste rémunération de sa maîtrise d’œuvre. 

 

L’architecte se voit privé de chantier au profit d’autres acteurs...

Oui, et cela génère une problématique à laquelle nous devons réfléchir également : l’architecte qui n’a pas la mission de chantier ne peut se rendre sur le chantier de crainte d’être pris dans l’engrenage de responsabilités qui ne sont pas les siennes. Or, un concepteur doit quand même pouvoir vérifier la conformité architecturale de l’ouvrage construit par l’entreprise sans être responsable de ce que fait l’entreprise. L’architecte doit pouvoir se rendre sur le chantier pour constater une non-conformité et signifier au maître d’ouvrage son désaccord, voire une non-conformité au permis de construire. Cela doit être fait en dehors du compte rendu de chantier.

La MAF mène actuellement une réflexion pour trouver la bonne réponse à cette question.

 

Quel rôle la MAF joue-t-elle pour aider l’architecte sur le chantier ?

La MAF lancera dans quelques semaines une « Boîte à outil chantier ». Il s’agit d’un guide numérique pour aider les architectes à la direction et au suivi de leur chantier. De nombreux documents type faciliteront la pratique du chantier. De nombreuses recommandations pratiques font la synthèse d’une règlementation abondante et des retours d’expérience de la profession et de la MAF.